Paul Veyne : Quand notre monde est devenu chrétien (312-394)



C'est le livre de bonne foi d'un incroyant qui cherche à comprendre comment le christianisme, ce chef-d'œuvre de création religieuse, a pu, entre 300 et 400, s'imposer à tout l'Occident. A sa manière inimitable, érudite et impertinente, Paul Veyne retient trois raisons:
- Un empereur romain, Constantin, maître de cet Occident, converti sincèrement au christianisme, veut christianiser le monde pour le sauver.
- Il s'est converti parce qu'à ce grand empereur il fallait une grande religion. Or, face aux dieux païens, le christianisme, bien que secte très minoritaire, était la religion d'avant-garde qui ne ressemblait à rien de connu.
- Constantin s'est borné à aider les chrétiens à mettre en place leur Eglise, ce réseau d'évêchés tissé sur l'immense empire romain. Lentement, avec docilité, les foules païennes se sont fait un christianisme à elles. Cette christianisation de cent millions de personnes n'a pas fait de martyrs.
Au passage, Paul Veyne évoque d'autres questions : d'où vient le monothéisme ? Faut-il parler ici d'idéologie ? La religion a-t-elle des racines psychologiques ? Avons-nous des origines chrétiennes ?

A l'occasion de l'anniversaire de l'édit de Milan en 312, où Constantin abroge toutes les lois interdisant le christianisme, un grand nombre de bons livres sont parus qui scrutaient les motivations de l'empereur, la situation de l'empire, l'état des mentalités, etc ... le grand historien romaniste Paul Veyne s'est penché lui aussi sur la question, et donne de l'homme et de l'événement des interprétations novatrices, dans la droite ligne de son magnifique "Empire gréco-romain". Paul Veyne est un penseur suffisamment intelligent et nuancé pour savoir dépasser les oppositions simplistes et binaires intérêt matériel / spiritualité, politique / foi, et autres doublets bons pour les journalistes. Il est suffisamment au fait des sciences humaines et de leurs études sur la foi, des sciences sociales et de leurs observations sur les mécanismes sociaux, pour donner du phénomène de changement de religion de l'empire romain aux IV° et V° une interprétation nuancée et convaincante. Ce livre d'un sceptique dégage tous les avantages du christianisme pour un homme de l'Antiquité, mais aussi pour nous.

Analyse éclairante de cette période charnière du IVème siècle, plus tout à fait l'antiquité, pas encore le Moyen-âge : un entre-deux qui nous est visible mais qui ne l'était certainement pas pour les contemporains.Les 9 premiers chapitres sont agréables à lire, il y a de nombreuses anecdotes et des parallèles (parfois osées) qui illustrent le propos et donnent une sensation que si l'histoire ne se répète pas dans la forme, elle se répète dans le fond (et pas toujours dans le sens de la boutade de Marx sur le 18 brumaire).
Le chapitre 10 est certainement le meilleur passage du livre car il dévoile des mécanismes cachés des sociétés et du déroulement de l'histoire. Un chapitre à lire et relire pour s'en imprégner car c'est là que se trouve les principaux enseignements pragmatiques du livre.


Paul Veyne, dans ce livre, mêle (comme il le fait il me semble aussi dans ses autres livres) deux disciplines : l'histoire et la philosophie. J'ai parfois même l'impression qu'il se sert de la première comme prétexte à la seconde. En tous les cas, ce mélange des genres me parait une approche très pédagogique permettant de mieux assimiler les idées.
De part sa position d'athée, il peut justement réfléchir sur des questions de religion sans rester sur des vérités établies (Attention, il ne s'agit pas d'un livre anticlérical ou irrévérencieux face à la religion. L'auteur a beaucoup de respect pour les croyants.)
Il expose donc les raisons qui ont fait le succès du christianisme par rapport au paganisme. Sans décrire le livre, l'auteur nous explique en autres
les motivations de Constantin qui l'ont conduit à se convertir, sa tolérance par rapport au paganisme évitant ainsi un conflit ouvert entre les deux religions
la religion du christianisme qui couvrait un périmètre beaucoup plus large que l'ancienne religion (réponses à des questions métaphysiques, bonté de Dieu tourné vers les hommes alors les divinités romaines pensaient d'abord à elles, une morale bien supérieure, ...)
une organisation centralisée et un prosélytisme.
...
Enfin, Paul Veyne pose la question si la société européenne actuelle dépend encore du christianisme. Sa réponse bien étayée est que non.

C'est donc encore un livre fort intéressant et assez accessible.

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